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6 janvier 2014 1 06 /01 /janvier /2014 21:56

   On pourra toujours dire qu'il y a beaucoup plus urgent. On pourra une fois de plus soupçonner le gouvernement de masquer son incapacité à traiter les "vrais" sujets de société. On pourra non sans raison supputer que les Français, en attente d'emploi et de confiance, se fichent globalement de savoir ce qu'il adviendra des pseudo-spectacles d'un sinistre bouffon dont ils n'auraient jamais entendu autant parler sans toute cette affaire. On pourra même, ici ou là, oser brandir le drapeau d'une liberté d'expression en danger en ressassant la célèbre phrase apocryphe de Voltaire: "Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire". Bref, il est incontestable que la "circulaire anti-Dieudonné", adressée par Manuel Valls aux préfets, a ses limites, y compris juridiques. Mais elle a une immense vertu. Celle de rappeler qu'un colporteur de haine et de négationnisme n'est ni un humoriste, ni un artiste, ni même un saltimbanque, et qu'il n'a, de ce fait, rien à faire sur la scène des salles et des théâtres où souffle l'esprit de Molière, de Vilar ou de Jouvet. D.P.

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5 janvier 2014 7 05 /01 /janvier /2014 21:03
   6uXC8G5fmMrRcRhUQCcqjTl72eJkfbmt4t8yenImKBVvK0kTmF0xjctABna.jpgLorsqu'André Malraux est mort, en novembre 1976, il avait, dit-on, sur sa table de nuit, des poèmes de Jean Métellus. Peut-être ceux du Pipirite chantant que Maurice Nadeau rassembla deux ans plus tard dans le recueil qui fit vraiment découvrir en France le poète haïtien né en 1937 dans une ville qui est coeur de son roman Jacmel au crépuscule (Gallimard, 1981). L'écrivain, qui, en 1959, avait quitté son île, en proie à la dictature de Duvalier, pour Paris où il était également médecin neurologue, spécialiste des troubles du langage, vient de disparaître à l'âge de 76 ans. Le pipirite, réputé pour être l'oiseau qui annonce le jour en Haïti, ne chante plus. Ou, du moins, plus tout à fait comme avant. D.P.
 
   "Le paysan haïtien au pipirite chantant lève le talon contre la nuit et va conter à la terre ses misères dans l'animation d'une chandelle
   Et son oreille croit plus à la patience des végétaux qu'au vertige du geste, à l'insurrection des herbages qu'aux prodiges du sermonnaire
    Car il méprise la mémoire et fabrique des projets 
    Il révoque le passé tressé par les flaux et les fumées
   Et dès le point du jour il conte sa gloire sur les galeries fraîches des jeunes pousses".
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4 janvier 2014 6 04 /01 /janvier /2014 10:45

 imagesCAQTVRUI.jpg   C'était le 4 janvier 1960 - cinquante-trois ans aujourd'hui: Albert Camus disparaissait lors d'un tragique accident de la route dans l'Yonne, après avoir passé la dernière nuit de sa vie dans l'Ain. On retrouvera ci-dessous l'évocation parue en dernière page du Dauphiné Libéré à la date anniversaire marquant le demi-siècle, le 4 janvier 2010.

 La mort "absurde"

 d'Albert Camus

   Parti la veille de son repaire vauclusien

   de Lourmarin, l'écrivain "panthéonisable"

   ne devait jamais atteindre la capitale.

   Le 4 janvier 1960, à 13 h 55, la puissante  Facel-Vega,

   à bord de laquelle il avait pris place, laissa un tragique impact contre un arbre.  

   Et un grand vide dans la pensée contemporaine.

   Par DIDIER POBEL

   Avait-il eu le temps de parcourir la rare presse dominicale, ce 3 janvier 1960, celui qui s'apprêtait à quitter Lourmarin pour Paris ? En tout cas, dans ce coin de Luberon comme ailleurs, la nouvelle venait de tomber. Fausto Coppi était mort la veille. Terrassé, à 40 ans, par une malaria mal soignée. Albert Camus, qui préférait, il est vrai, le foot au vélo, n'aura jamais rien écrit sur la tragique fin de course du "Campionissimo", ce fils du peuple devenu une idole, ce Piémontais osseux qui plongea l'Italie voisine dans la stupeur. Pas un mot, non, car le lendemain, c'est lui que le destin fracassait. Fichue coïncidence.

   Mais revenons un peu en arrière. Les Camus ont passé les fêtes dans leur bastide vauclusienne acquise avec les rentes du prix Nobel attribué en 1957. Autour de la table du réveillon, il y avait Francine, l'épouse, et les deux jumeaux Catherine et Jean. Rires, cadeaux, sapin et treize desserts. C'est bon parfois, pour un "homme révolté", d'oublier la tourmente de la guerre d'Algérie et les bisbilles avec Sartre. Une parenthèse, rien de plus. Le retour vers la capitale est prévu pour le 2. Les billets de train sont prêts, les valises bouclées.

   Sauf qu'en dernier ressort l'écrivain se ravise. Ses proches gagnent, seuls, la gare d'Avignon. Il fera finalement le voyage avec Michel Gallimard. Venu passer la Saint-Sylvestre en Provence, avec sa femme Janine, leur fille Anne et le chien Floc, le neveu du célèbre éditeur se réjouit de faire goûter à son passager les sensations d'une vitesse pas encore réglementée.

   L'au-revoir à la servante grippée. Le plein, payé en rutilants nouveaux francs, à la station Shell du village. Le beau ciel pur d'hiver... Il y a comme du Trénet dans l'air en ce lumineux matin : "On est heureux, Nationale 7..."

   "Avec celui 
   que nous aimons, nous avons cessé 
   de parler..."

   Première halte à Orange pour le déjeuner. La Facel-Vega ne fera ensuite qu'une bouchée de l'emblématique route montant vers la Bourgogne. À l'heure du dîner, lorsqu'apparaissent les premières brumes sur la Saône, la puissante voiture de sport prend à droite. Le village de Thoissey, dans l'Ain, est à deux pas. L'étape aura lieu au "Chapon fin", un deux étoiles au Michelin, disparu depuis. Une salle à l'écart a été réservée. Un peu d'intimité s'impose. Le gâteau d'anniversaire d'Anne s'orne de dix-huit bougies.

Au terme d'un très réparateur sommeil entre Dombes et Bresse, l'hôte prestigieux signe le livre d'or - son ultime message - et l'équipage remet le cap au nord. Pas question de s'attarder lors du déjeuner, arrosé toutefois d'une bouteille de fleurie, à l'hôtel "de Paris et de la Poste", à Sens. La nuit tombe vite, même si les jours rallongent.

   La nuit ? La voici carrément qui s'abat. Grincements de pneus, embardées, craquements de foudre. Projeté comme la pierre du Mythe de Sisyphe, le bolide ricoche contre un platane, avant de s'encastrer autour d'un autre tronc. Les images font songer à un crash aérien. Des débris sont éparpillés à 150 mètres à la ronde. Silence. Il est 13 h 55 ce lundi 4 janvier 1960, sur la RN5, au lieu-dit Petit-Villeblevin, dans l'Yonne, entre Champigny et Villeneuve-la-Guyard. Albert Camus, assis à la place du mort, ne se relèvera pas. Il avait 46 ans. L'absurde, au coeur de sa réflexion, vient de le rattraper à jamais. Les deux femmes sont indemnes. Michel, qui conduisait, s'éteindra cinq jours plus tard à l'hôpital. Floc, le brave toutou, est porté disparu.

   Que s'est-il exactement passé ? Mystère. La chaussée était droite et sèche, le pilote aguerri. On suspecta l'auto. On chercha des noises. On évoqua la destinée. Seule consolation, la serviette en cuir de ce maître de la pensée contemporaine était intacte. Elle contenait le début d'un chef-d'oeuvre : 144 feuillets manuscrits du Premier homme, magnifiques fragments d'autobiographie qui paraîtront en 1994.

   Deux jours après celles de Coppi, à Castellania, les obsèques de l'auteur de L'Etranger et de La Peste se déroulèrent le 6 janvier, en terre provençale, "sans protocole", bien loin du Panthéon qui en fait rêver certains aujourd'hui.

   René Char, le voisin de L'Isle-sur-la-Sorgue est là. Quelques semaines plus tard, il dédiera à l'ami disparu L'Eternité à Lourmarin. Un émouvant poème qui commence ainsi : "Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n'est pas le silence. Qu'en est-il alors ?" Question sans réponse. Certains soirs pourtant, on croit entendre une voix qui s'élève au bord d'une route. Mais c'est peut-être tout simplement Floc qui jappe à la lune.

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3 janvier 2014 5 03 /01 /janvier /2014 11:25

DSCN4998.JPG  DSCN4997.JPG                                 Mes deux derniers billets de 2013 dans l'hebdomadaire Voix de l'Ain. Si celui du 20 décembre, "Solstice", évoque le temps qui passe et notre siècle pressé, il fait également référence, sur un plan local, aux déboires rencontrés par une future nouvelle salle de spectacles de Bourg-en-Bresse dont l'inauguration a dû être repoussée. Quant à celui du 27, espérons que son titre, "De tout coeur", ne soit pas qu'un voeu pieu. (Cliquez sur les images pour les agrandir).

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3 janvier 2014 5 03 /01 /janvier /2014 00:23

  Présenter ses voeux par écrit, c'est bien à condition toutefois de veiller au grain et on sait bien que les libations de la Saint-Sylvestre ne favorisent pas toujours une bonne orthographe. D'ailleurs, soyons francs, nous sommes sans doute nombreux à avoir laissé passer quelques belles bourdes sur une carte hâtivement rédigée ou sur un mail. Est-ce pareille mésaventure dont vient d'être victime Frédéric Lefèvre, ex-ministre du gouvernement Fillon et aujourd'hui député de la première circonscription des Français de l'étranger? En tout cas, le tweet du nouvel an que certains ont reçus sous son nom se terminait par ce souhait: "Que le bonheur et la réussite vous sourisse". Excès de champagne? Inadvertance? Goût des subjonctifs fantaisistes et des accords approximatifs? Rien de tout cela selon l'incriminé. Son compte aurait tout simplement été "hacké" par de facétieux pirates. On n'a pas de raison d'en douter, sauf que, nul ne l'a oublié, celui qui fut également porte-parole de l'UMP avait jadis confondu le Zadig de Voltaire avec une célèbre marque de prêt-à-porter. Et c'est bien connu, en ce bas monde, on ne prête qu'aux riches. Moralité: un démenti, c'est une chose mais encore faut-il qu'il y ait des gens qui y "croivent". D.P.

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1 janvier 2014 3 01 /01 /janvier /2014 22:22

   Vous avouerez tout de même que, dans ce monde en pétard, 2014 n'a pas si mal commencé que ça. On s'est embrassé comme des fous, on a bu du champagne à gogo, on a fait pleuvoir les confetti et les SMS, on a dansé jusqu'à l'aube sur des airs de Patrick Sébastien ou de Stromae. Sans compter que François Hollande a renoncé aux petites blagues aussi bien dans ses voeux que lors de l'arrivée du père Vandenbeusch. Et puis, aux dernières nouvelles, on n'a pas déploré de noyés lors des bains du nouvel an et, si un peu partout on a fait la "chenille", aucune "quenelle" n'est venue troubler l'ordre public.

     Mais il y a mieux encore. En une époque jugée partout plus inflammatoire que jamais, on a brûlé moins de voitures que lors de la précédente nuit du réveillon. Très exactement 1067 contre 1193. La baisse est de 10,6%. Manuel Valls n'a pas caché sa joie au cours de sa traditionnelle conférence de presse. Evidemment, comme dirait l'autre, c'est mieux que si c'était pire. Il y a pourtant, si l'on y réfléchit, quelque chose d'un peu inquiétant dans cette attitude qui consiste à tirer satisfaction d'un phénomène qui n'a sans doute, au fond, qu'une portée symbolique limitée. Le "surplus"  d'autos restées intactes ne nous dit pas grand-chose de cette société. Tout au plus mesure-t-il une tendance plus sottement ludique que vectrice du malaise du moment. Ce qu'il révèle surtout, c'est que, par les temps qui courent, on inverse la courbe qu'on peut. Mais trêve de mesquinerie, on aurait des scrupules à gâcher cette bonne nouvelle. Faisons feu de la première statistique positive de l'année. Pas sûr qu'il y en ait beaucoup d'autres... On brûle, en tout cas, de le savoir. D.P.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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29 décembre 2013 7 29 /12 /décembre /2013 22:18

   On l'aime au brochet de la Dombes, à la lyonnaise, à la volaille de Bresse ou à la sauce Nantua, mais surtout pas comme ça. C'est peu dire que la "quenelle"  façon Dieudonné, revisitée à la Anelka, qui s'invite ces jours-ci dans l'actu de nos menus de fête, nous écoeure. Manuel Valls parviendra-t-il à interdire les pseudo-spectacles du prétendu comique qui a fait se propager sur la toile et ailleurs ce nauséeux salut au nom de mets raffiné? On ne peut que le souhaiter. Car ce qu'il y a derrière ce que d'aucuns voudraient réduire à un"simple"  code identitaire anti-système n'est autre qu'un appel à l'antisémitisme et à la haine. Ce à quoi il faut ajouter - argument bien futile par rapport aux précédents mais tout de même - un affront sémantique fait à Brillat-Savarin. D.P.

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23 décembre 2013 1 23 /12 /décembre /2013 22:18

   Est-ce pour rendre hommage à Mikhaïl Kalachnikov, disparu à 94 ans, que le vent a décidé ce lundi soir de souffler en rafales? En tout cas, il ne semblait pas avoir, lui, la moindre intention de désarmer. Vingt-trois départements étaient en vigilance orange et aux journaux télévisés, ce n'étaient plus des bulletins d'alerte mais carrément la répétition générale de La Tempête de Shakespeare. Les envoyés spéciaux s'accrochaient à leurs micros comme à des anémomètres. Les Bretons revissaient leurs bonnets rouges. Les réveillonneurs sortaient les casques. Les huîtres refermaient leurs coquilles. Et le Père Noël priait dans sa barbe pour que les courants contraires ne détournent pas son attelage de rennes lapons.

   Au juste, comment s'appelle-t-elle, cette "dépression venue de l'Ouest"   qui a déjà fait beaucoup de dégâts et même aussi, hélas, tué? Dirk. C'est l'institut allemand de météorologie de Berlin qui lui a trouvé ce prénom pour succéder à Georges. Dirk, comme Bogarde, le célèbre acteur de The Servant et de Mort à Venise. Pas étonnant si elle est aussi cabotine, cette satanée trouble-fête(s) de fin d'année qui, tel le fusil d'assaut évoqué plus haut, tire à vue sur tout ce qui bouge. D.P.

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22 décembre 2013 7 22 /12 /décembre /2013 22:29

   Allez, avouons-le, on est tout de même un peu estomaqués de tout ça. De tout ça quoi? Eh bien de cette proportion que peut prendre une affaire aussi bête que celle qu'a engendrée la plaisanterie de François Hollande sur l'Algérie. Retour au verbatim. Manuel Vals est revenu "sain et sauf"  de son voyage là-bas, "ce qui est déjà beaucoup", a souligné, par fidélité sans doute à sa réputation de"Monsieur Petites blagues", le chef de l'Etat, il y a tout juste une semaine, devant le Crif (le Conseil représentatif des institutions juives de France).
   Evidemment, ce n'est pas très malin, vu le contexte. Sans compter que c'est à peine drôle. Mais de là à faire semblant de croire que cette saillie de trois sous - pardon: de trois dinars - ébranle nos relations internationales et, pourquoi pas, le socle même de la République, il y un pas qui semble bien difficile à franchir. Et pourtant...

   Cela dit, l'intéressé, contraint de faire part de ses "regrets pour l'interprétation de ses propos", devrait, au fond, se féliciter de cet effet loupe des réseaux sociaux capables de mettre en avant l'insignifiant en masquant l'essentiel. Parce que, pendant qu'on disserte à l'infini sur la portée d'une formule de potache, au moins ne rappelle-t-on pas qu'il est plus que temps, pour ne citer qu'un exemple,  de mettre à la question la fameuse "inversion de la courbe du chômage avant la fin de l'année".

   Un sujet autrement plus piquant sur lequel, du coup, si ça se trouve, grâce à cette dernière montée en épingle démesurée, François Hollande finira "sain et sauf". Ce qui là aussi, en l'occurrence, "est déjà beaucoup".D.P.

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22 décembre 2013 7 22 /12 /décembre /2013 10:58

DSCN4801   Nouveau clin d'oeil, dans mon billet de Voix de l'Ain du 13 décembre, à Charles Juliet pour son prix Goncourt de la poésie et pour la publication du tome 7 de son "Journal" (Apaisement, 1997-2003, P.O.L, 351 p., 19 €) d'où j'extrais ici ces lignes écrites tout au bout de l'an 1998: "31 décembre   Cette dernière journée de l'année, je l'ai passée avec des paysans au moulin de Neuville. Dès qu'on est à l'intérieur, on respire la bonne odeur d'huile de noix qui stagne, qui a imprégné murs et boiseries. On est également saisi par le grondement de la rivière qui coule au pied du moulin. En cette saison, elle a un fort courant, et son grondement a réveillé en moi l'angoisse qui me saisit chaque fois que je suis près d'une rivière aux eaux abondantes" (p. 158).

   Mon billet publié dans Voix de l'Ain de cette semaine, qui tente lui aussi de mesurer le temps - à l'aune de l'équinoxe et du Solstice -, sera, selon l'habitude, lisible prochainement sur ce blog.

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
  • : L'usage des jours (livres, poésie, voyages, journal, impressions...)
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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