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10 février 2014 1 10 /02 /février /2014 22:33

   Ne soyons pas dupes, Jean-François Copé n'est sans doute pas vraiment choqué par cet ouvrage pour la jeunesse, intitulé Tous à poil!, (1) dont il a, avec un dénigrement surjoué, tourné les pages dimanche soir sur le plateau du Grand Jury RTL-Le Figaro. Non, ce qu'il a voulu faire, ça s'appelle "un coup". Un peu à la manière de Marine Le Pen stigmatisant jadis La Mauvaise vie de Frédéric Mitterrand, sauf qu'il n'y a pas, ici, la moindre ambiguïté. Le volume en question, soucieux de "dédramatiser la nudité", pour reprendre la formule de Sylvie Gracia, responsable des excellentes éditions du Rouergue, est plutôt drôle et n'est, du resteimages-7-.jpg, en aucun cas recommandé par l'Education nationale.

   Ce serait tout juste pitoyable si ce n'était là qu'une nouvelle manière d'alimenter la rumeur de la "théorie du genre" obligatoire à l'école. Mais il y a plus grave. Il ne nous aura pas échappé que la droite, soucieuse de raviver des dénis passés (on n'a pas oublié Sarkozy ricanant de La Princesse de Clèves),  s'en prend ainsi une nouvelle fois aux livres.
   Le Livre? Il mériterait pourtant ces jours-ci une tout autre attention. Ce sont, ce lundi soir, et sans que nul ne s'émeuve dans un camp ou dans l'autre, quelque vingt-trois enseignes du groupe Chapitre.com qui, au terme d'une aberrante stratégie commerciale, ont définitivement baissé le rideau. Avec 434 employés sur le carreau. Dites, où sont-ils les cris d'indignation face à tous ces libraires qui se retrouvent... à poil? D.P.
    (1) Avec des textes de Claire Franek et des illustratiions de Marc Deniau.
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9 février 2014 7 09 /02 /février /2014 22:30

          La Suisse est sans doute devenue encore un peu plus, ce dimanche, le pays "étroit"  que décrivait le grand poète et romancier vaudois Jacques Chessex. Mais si, en approuvant le texte qui introduit des quotas pour l'immigration, elle se ferme davantage sur elle-même, elle adresse avant tout - car tel est bien là l'enseignement essentiel de cette votation à l'initiative du parti de la droite populaire, l'UDC - une cinglante gifle à l'Union européenne. Le résultat, acquis de justesse (50,3% des voix), ne sera pas sans lourdes conséquences, notamment pour la France où les travailleurs frontaliers sont attirés par le niveau de vie du voisin translémanique.

   Certes, fera-t-on valoir, ce reniement ne touche qu'un seul des sept accords bilatéraux liant la Suisse et l'UE... Sauf que, par un jeu de dominos, les autres devraient ainsi progressivement devenir caducs, y compris sans doute l'adhésion à l'Espace Schengen. Le Parlement de Berne, qui, à l'instar des acteurs économiques, était opposé à pareille issue, n'a pas caché sa profonde déception. Chez nous, sans surprise, la principale réaction est venue de la chef de file du FN qui n'a pas manqué de saluer, en se mirant dans les reflets bleu marine du lac, "la merveilleuse nouvelle pour les amoureux de la liberté et de la souveraineté nationale". Brrr! Comment s'appelle-t-il, ce vent froid qui vient d'outre-Jura? D.P.
 

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8 février 2014 6 08 /02 /février /2014 19:15
  
  
   8 février 1962 - 8 février 2014. Il y a cinquante-deux ans aujourd'hui, une manifestation anti-OAS virait au drame à Paris. Neuf personnes, qui tentaient de se réfugier dans la bouche de la station de métro Charonne, sont mortes étouffées ou d'une fracture du crâne, suite à la répression ordonnée par le préfet de police de l'époque. Un certain Maurice Papon.
 
 
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7 février 2014 5 07 /02 /février /2014 17:20

   DSCN5456.JPGMon billet dans Voix de l'Ain du 31 janvier est consacré à un étrange potache qui prépare la prochaine rentrée sous l'oeil anticipateur de la Région-Alpes. Celui de cette semaine, lisible ici dans quelques jours, célèbre, d'un ornithologiste regard, les dix ans de Facebook. Son titre? "Réseaux zoziaux".

 

   (Cliquez sur l'image pour l'agrandir).

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7 février 2014 5 07 /02 /février /2014 11:20
    Henri Tachan ne sera pas Sotchi aujourd'hui. Raison de plus pour le réécouter. La chanson qu'il dédia à sa manière aux Jeux Olympiques date de 1973. Un an après Munich, trois ans avant Montréal. Et toujours autant d"actualité, n'est-ce pas M. Poutine? 
     
Les Jeux olympiques
(Paroles et musique d'Henri Tachan)
     
Ce s'rait chouette les Jeux Olympiques,
Tous ces athlètes dans la foulée,
Pour un marathon fantastique
A la seule force du mollet.
Ce s'rait chouette les Jeux Olympiques,
L'émulation sur la cendrée,
Ce s'rait chouette les Jeux Olympiques
Si, nom de Dieu, il n'y avait

Leurs p'tits drapeaux
Leurs p'tits fanions
Couleur kaki
Caca d'oie des frontières
Leurs p'tits drapeaux
Pour chaque nation
Qui claquent au vent
D'une musique militaire.

Ce s'rait chouette les "Souvenez-vous"
Les "N'oublie pas qu'la guerre est conne",
Les recueillements sur les trous
Où les soldats fusillés dorment.
Ce s'rait chouette les "Souvenez-vous",
Le manifestations de paix,
Ce s'rait chouette les "Souvenez-vous"
Si, nom de Dieu, il n'y avait

Leurs p'tits drapeaux
Leurs p'tits fanions
Leurs p'tits tambours
Qui donnent la cadence
Leurs p'tits drapeaux
Leurs p'tits fanions
Qui claquent au vent
D'une minute de silence.

Ce s'rait chouette d'aller sur la lune
Dans le scaphandre de Pierrot,
J'y emporterais bien ma plume
Pour vous écrire quelques mots
Ce s'rait chouette d'aller sur la lune
En vacance pour milles étés,
Ce s'rait chouette d'aller sur la lune
Si, nom de Dieu, il n'y avait

Leurs p'tits drapeaux
Leurs p'tits fanions
Pour cette fois Ricains de préférence
Leurs p'tits drapeaux
Leurs p'tits fanions
Leurs p'tites étoiles
La Grande Ourse s'en balance
     
Ce s'rait chouette si tous les drapeaux
Voulaient bien se donner la hampe,
Ca f'rait des pyjamas très beaux,
Des soutiens-gorge pour les vamps.
Ce s'rait chouette si tous les drapeaux
Finissaient un jour draps de lits.
On y ferait l'amour bien au chaud
Avec les filles de leur pays…
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7 février 2014 5 07 /02 /février /2014 00:23
 A vos postes, ce soir c'est l'Ouverture et la cérémonie promet d'être grandiose et fastueuse. Du coup, dans la foulée, on ne devrait plus parler que d'athlètes et de champions, d'exploits et d'émois, d'or et d'argent.  Mais tout de même, il faudra une sacrée dose de magie pour qu'on oublie le reste. Le reste? Le prix obscène de ces Jeux qui a d'emblée pulvérisé un record. Les soupçons de corruption. Les lois homophobes de Poutine. Les infrastructures bâclées. Le désastre écologique annoncé. Les boycotts... C'est beaucoup pour une seule fête, fût-elle à la gloire autoproclamée d'un tsar moderne qui se rêve en seigneur des anneaux. Avouons-le, malgré la flamme et les feux du stade, ce rendez-vous d'hiver jette un froid. Quelque part, là-bas entre mer Noire et Caucase, on entend le baron Coubertin qui tousse. Sale temps. Sotchi, ce n'est pas une exultation, c'est un éternuement. D.P.


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6 février 2014 4 06 /02 /février /2014 10:53

   DSCN5447-copie-1.JPG   En librairie ce jeudi 6 février, La Grande vie de Christian Bobin. Ces quelques extraits avant de plonger une nouvelle fois dans "l'enchantement simple" de l'auteur de La Part manquante  (Folio n° 2554) et de Ressusciter  (Folio n° 3809):

   "Pourquoi grandir puisque enfants nous touchions déjà le ciel de nos petites mains d'argile rose?" (p. 21).

   "Le papillon monte au ciel en titubant comme un ivrogne. C'est la bonne façon". (p. 39).
   "Parfois un visage se met à côté du soleil et provoque une sorte d'éclipse" (p. 54).
   "Des nomades campent dans mes yeux. Les feux qu'ils allument, ce sont les livres que je lis". (p. 58).

   "Les animaux sont des théologiens muets. Leurs nerfs sont les cordes du ciel". (p. 83).


   "La poésie c'est la grande vie" (derniers mots du livre). 

   (Gall
imard, 126 p., 12,90 €).

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5 février 2014 3 05 /02 /février /2014 22:36

   

   6 février 1934. La crise économique dure, les usines ferment, l'exaspération gagne, l'affaire Stavisky plombe l'atmosphère.

   6 février 2014. La crise économique ne faiblit pas vraiment, le "ras-le-bol" monte, un sale vent antisémite souffle sur la France.


   6 février 1934. Les Royalistes, l'Action Française et les Croix de Feux du Colonel de La Roque marchent jusqu'aux portes de l'Assemblée nationale dans un climat d'émeute.
   6 février 2014. Les Bonnets Rouges sont toujours en embuscade. Les enragés du "Jour de colère" sont prêts à remettre ça. Les "Manif pour tous" se suivent et se ressemblent.

   6 février 1934. Les Camelots du roi crient "A bas les voleurs!".
   6 février 1934. Un hebdo à grand tirage a titré quelques jours plus tôt: "Rendez l'argent!".

   6 février 1934. Le poète surréaliste Benjamin Péret écrit au second degré: "Que c'était beau. Les autobus flambaient comme les hérétiques d'autrefois".
   6 février 2014. l'"humoriste" Dieudonné enflamme au premier degré la toile.

   6 février 1934 / 6 février 2014: l'histoire jouerait-elle à repasser les plats? Certes, les similitudes sont là - à commencer par l'effondrement de la confiance et le défi vis-à-vis des élites -, mais attention aux amalgames trop faciles. Le véritable contexte des événements qui ensanglantèrent la capitale il y a quatre vingts ans est évidemment - et heureusement - très différent de celui d'aujourd'hui.
   6 février 1934. Deux ans après, le Front Populaire voyait le jour et trois ans plus tard, le Seconde Guerre mondiale était déclarée.
   6 février 2014. Sans prêter au passé la tendance au retour qu'il est loin d'avoir systématiquement, sachons simplement ne pas l'oublier. D.P.
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4 février 2014 2 04 /02 /février /2014 22:13

   Cela se passe dans le parc de la Poya, à Fontaine, près de Grenoble. On voit des gamins qui en frappent un autre. Plans saccadés. Images qui tremblent. On comprend vite que ce n'est pas un jeu. La jeune victime est prostrée par terre. La "bousculade"  est mal filmée mais on saisit néanmoins toute la terreur du gosse humilié. Avant que ses petits  bourreaux ne le poussent carrément à l'eau. Scènes de "violence ordinaire"? Pas tout à fait. Les agresseurs sont des enfants ou des ados du coin. Ils ont entre douze et seize ans et sont inconnus des services de police. Et celui à qui ils s'en sont pris, pour "s'amuser", est, de surcroît, handicapé
   Mais ce n'est pas tout. Les fiérots ont réalisé une vidéo de leur "exploit"  qu'ils ont postée sur les réseaux sociaux. Affligeant "trophée de chasse"  qui a, du reste, conduit à leur interpellation. On a tous été choqués de découvrir cela dans les JT de ce mardi, parfois en ouverture. Choqués par ce qu'on voyait, bien sûr, mais peut-être aussi par une telle diffusion. Car enfin quoi, faut-il montrer ces scènes aux heures de grande écoute, comme on dit, lorsqu'il y a d'abord lieu de craindre leur pouvoir incitateur chez certains esprits faibles? On arguera que cette séquence a déjà été partagée 2000 fois sur Facebook, suscitant quelque 6500 commentaires. Certes, mais on peut précisément considérer que ça "suffit comme ça", qu'il n'y a pas lieu "d'en rajouter". Et que, même au siècle de l'image, cette "guerre des boutons"-là ne mérite pas de s'inscrire encore un peu plus dans la société du spectacle. D.P.

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3 février 2014 1 03 /02 /février /2014 23:24

   En repoussant à 2015, le projet de loi sur la famille, François Hollande a donc, une fois de plus, reculé. Evidemment, résumé ainsi, ça fait piteux. Mais qu'aurait-on dit s'il s'était entêté plus longtemps face à un pays divisé, comme en a encore témoigné ce dimanche la nouvelle "manif pour tous"? Au risque d'apparaître lâche pour les uns, y compris dans son propre camp, il a préféré jouer la carte de la réconciliation. On accolera le nom qu'on voudra à cette attitude. Tergiversation, amateurisme voire, si l'on ose, sagesse. Cela sans perdre de vue la part de calcul inhérente à pareille temporisation.

   Face aux échéances électorales qui approchent, le chef de l'Etat a sans doute, en effet, estimé qu'il ne pouvait pas prendre le risque d'inscrire ces rendez-vous dans un climat de crise analogue à celui du printemps 2013 plombé par la contestation contre la loi Taubira. Reste maintenant une vraie question. La famille France, en plein désarroi, retrouvera-t-elle un brin de sérénité? Après la PMA et la GPA, on ne peut que rêver d'une FEA. FEA comme France enfin apaisée.

   Mais, convenons-en, ça n'est pas gagné. D.P.  

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
  • : L'usage des jours (livres, poésie, voyages, journal, impressions...)
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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